Virée aux Baléares.
Lorsque nous vous avons quitté la semaine dernière, nous étions nostalgiques, alors rien de tel que l’action pour faire passer ce coup de blues.
Notre projet est de quitter la France pour gagner les Baléares et en premier lieu Minorque : une navigation plus longue que pour aller en Corse, et c’est bien d’augmenter progressivement la difficulté.
Nous avitaillons Manéa, faisons provision de camenbert “Coeur de Lion” (la “came” du capitaine et pub gratuite...) mais une fois de plus, Eole a décidé de nous faire progresser dans l’apprentissage de la patience et pendant quatre jours, nous serons forcés de rester au mouillage devant Hyères. Alors pour m’occuper, ayant trouvé des pêches pas chères, je nous fais des confitures. Elles remplaceront toutes celles que nous avons déjà mangées. Autre occupation : la dégustation de glaces, péché mignon du capitaine qui devient un expert et la fréquentation du cyber-café et du port pour y consulter la météo.
Enfin, ça y est! Le 18, nous pouvons enfin partir et de bon matin nous levons l’ancre. L’île de Porquerolles au loin est ceinturée par une écharpe de brume, beau spectacle mais qui nous en prépare un autre. A peine entrés dans la petite passe entre la presqu’île de Giens et Porquerolles, nous sommes dans la purée de pois, on ne voit pas à 100m et chacun utilise la corne de brume pour se signaler. Le spectacle et l'ambiance sont assez surnaturels mais oh combien, stressants!. Après deux heures d’errance dans ce “fog”, nous redécouvrons le bleu de la Méditérranée dans le ciel et l’eau.
La traversée s’effectue sans problème, le vent est avec nous mais faible au début. La première nuit est claire, et durant mon quart, je vois cinq étoiles filantes mais je ne vous révélerai pas mes voeux. La fin de la deuxième nuit sera moins cool, car à notre arrivée sur Minorque, le ciel est plein d’orages et le vent et la mer se lèvent. Nous n’entendons pas le tonnerre mais nous voyons une multitude d’éclairs zébrer et illuminer le ciel. Durant notre traversée, nous avons croisé deux ou trois bateaux ou ferries maximum. Celle-ci a duré 50h pour parcourir 236 Miles : pas de record de vitesse battu!
Le jour se lève et nous mettons le cap sur Ciutadella, deuxième ville de Minorque. De loin, au bord de la mer, nous croyons apercevoir des caravanes rangées les unes à côté des autres mais ce sont en fait, des maisons identiques collées les unes aux autres : ce n’est pas du meilleur goût esthétique. Le long des côtes, il y a quelques horribles constuctions avec des grands hôtels en forme de barre qui défigurent le paysage, mais heureusement des réalisations urbanistiques plus récentes essayent de rattraper difficilement ces conceptions architecturales du passé .
Minorque est l’île la plus au nord des Baléares et n’est guère élevée : en moyenne 60 à 100m, elle forme une sorte de plateau, de “table “ posée sur la mer et découpée par une multitude de petites anses appelées “calas” qui constituent des mouillages agréables : la première que nous fréquenterons à notre arrivée, est la cala “San Saura”: une baie circulaire, entourée de pins avec une eau bleue turquoise sur un fond de sable blanc, mais que de monde!!! Des voiliers, mais aussi une multitude de petits bateaux à moteur loués à la journée et qui mouillent n’importe comment et n’importe où. En moins de temps qu’il n'en faut pour le dire, nous sommes cernés! De plus, au milieu de tout cela, des vedettes de promenade viennent amener leur lot de touristes pour les faire plonger ou mieux leur faire descendre le toboggan situé à l’arrière du bateau .Tout cela évidemment très discrètement!
Le capitaine n’en croit pas ses yeux, lui qui me présentait Minorque comme une île calme, peu fréquentée, doit revoir son opinion, qui datait il est vrai, de 1996. Nous devons sans cesse couver Manéa pour éviter les “abordages”. Mais le soir, la cala retrouve son calme. Fatigués par cette surveillance et notre traversée, nous passons une nuit excellente et le lendemain, nous mettons le cap sur la cala Macarella, qui est très sauvage, située entre deux parois de falaises, avec des pinèdes recouvrant les rives jusqu’en bordure de deux petites plages de sable au nord et à l’ouest. Mais surprise, l’entrée de la cala à l’ouest est fermée par des bouées. Peu de bateaux, mais il est tôt. Dès midi, une mutitude de petits bateaux à moteur envahissent à nouveau les lieux n’importe comment. Est-ce parce que nous sommes le week-end? Faut-il penser à naviguer hors juillet et août?
Il fait chaud et nous mettons le taud. Le capitaine veut perforer la toile avec son opinel pour la refixer, et se tranche le bout du doigt. Heureusement pas trop grave, notre pharmacie contient des “strips” et il n’en gardera qu’une jolie cicatrice mais pas de baignade avant quelque temps! Le spectacle ne manque pas, et nous ne nous embêtons pas entre les ninos qui plongent en vrille, le phénomène nudiste pagayant sur une planche mais avec sac au dos (beaucoup plus d’hommes nus que de femmes), les gamins faisant leur numéro devant les filles et vice-versa et surtout la beauté du lieu, les poissons qui prennent la pose...
Dimanche matin, après avoir levé l’ancre, cap sur la cala Trebalunga, où nous espérons avoir un peu plus de tranquillité mais là horreur, les bateaux viennent déposer leur horde de touristes qui, tels des fourmis, envahissent la plage. Dépités, nous partons vers le sud et à notre rythme, flânons le long de la côte, tout en contemplant le travail spectaculaire de la mer qui a érodé le bas des falaises en y creusant des grottes qui pourraient accueillir notre bateau excepté la hauteur du mât. Le soir, nous mouillons à l’abri du cap Fonts, nous y sommes enfin seuls! Dès le lever, nous mettons le cap sur Mahon, capitale de l’île, bâtie sur une falaise de 50m et qui domine l’un des ports naturels les plus sûrs de la Méditerranée. Profonde entaille du plateau côtier qui s’enfonce de trois milles dans les terres, elle a constitué un enjeu stratégique majeur pour le contrôle de la navigation depuis l’Antiquité jusqu’au début du 19ème siècle. De nombreuses calas creusent les rives nord et sud de ce vaste fjord, mais l’appât du gain les a faites fermer par des bouées payantes ou par des pontons flottants. Pas d’autre alternative que de s’amarrer à l’un ou l’autre de ces endroits payants si on veut visiter la ville, pas d’indication non plus sur le coût. Nous nous amarrons au ponton de bois flottant Cristina sur lesquels il y a eau, electricité et poubelles. Nous ne voyons personne et en annexe, nous gagnons la rive pour pouvoir flâner et déambuler dans la petite ville dont le coeur historique se situe dans un rayon de 300m. C’est là que l’on observe les traces des occupations successives : anglaises notamment avec des maisons basses aux bow windows (fenêtres à guillotine) verts aux murs chaulés ou avec des façades rouges. Les représentants de la "perfide Albion " sont restés peu de temps mais ont marqué la ville, en lui léguant leur goût pour le thé et leur penchant pour le gin. Celui-ci, appelé Gin Xoriguer, diffère du britannique par sa fabrication et sa présentation car on l’obtient par la distillation d’alcool éthylique d’origine agricole et de baies de genièvre et les minorquins le dégustent avec du jus de citron. C’est ce qu’ils appellent “pommada”. Lorsque nous allons nous avitailler dans un super mercado, nous sentons encore très fort cette présence anglaise dans l’approvisionnement : tout un rayon de beans de toutes les sortes et toutes les couleurs, idem pour le pain et le thé par exemple...et quasi rien pour les goûts français...
Revenus sur Manéa, nous préparons le souper et recevons la visite du messager des “ladrones”(= les voleurs), à savoir l’employé chargé de récolter le paiement de l’emplacement. Dès le départ, nous le sentons un peu tendu, il demande la longueur et la largeur du bateau et nous donne un document à compléter concernant l’identité du bateau et de ses passagers. Nous lui demandons s’il faut le remplir tout de suite (il commmence à faire noir...), et il nous fait comprendre d’attendre d’abord le prix. Nous sommes vaguement inquiets car certains ports espagnols n’ont pas la réputation d’être bon marché! Après quelques minutes de calculs à la lueur de sa lampe frontale (on n’arrête pas le progrès!), le verdict tombe : 154,8O€ pour une nuit!!! Il est visiblement gêné et sans doute, changeons-nous de couleur, car il nous demande tout suite si nous restons. Mais où aller alors que la nuit est déjà tombée et que tout est payant? Il nous détaille ensuite la douloureuse : en fait, plus ou moins 85€ qui comprennent l’amarrage de Manéa, plus l’électricité, plus l’eau et enfin l’annexe (mais comment se déplacer d’un ponton flottant vers la rive sans celle-ci?) Le tout saucé par 18% de TVA et le reste, soit pratiquement 70€, est une taxe votée par le gouvernement espagnol le premier juin 2010, dite taxe de signalisation maritime, et qui normalement, est valable 10 jours. Après, faut repayer! La mort dans l’âme, nous vidons notre porte-mannaie, précisément rempli juste quelques minutes auparavant. Notre repas a un goût bizarre, celui que l’on ressent après une arnaque.
Le lendemain matin, son collègue qui parle parfaitement français, nous explique d’abord qu’il y a une erreur en notre faveur dans notre facture (on nous rendra presque 25€, une fortune!) et que cette taxe est une honte, qu’elle va faire fuir les clients, qu’il comprend notre émotion et que certaines communautés refusent de l’appliquer. Mais ici à Mahon, eux ne peuvent rien faire car c’est un port commercial qui dépend du gouvernement central . N’empêche, OK pour la taxe, mais 85€ pour un ponton flottant, où l’utilisation d’une annexe est donc indispensable, sans sanitaires, c’est du grand luxe! Enfin, c’est surtout le PRIX du grand luxe mais sans aucun de ses services . A titre de comparaison, à Hyères, une nuit coûte 47€ avec wifi et accès aux sanitaires, et on trouve cela déjà pas donné! Pour nous soulager, sur la fiche de renseignements, nous écrirons en grand LADRONES ce qui veut dire en espagnol, voleurs, bandits, etc...Il nous conseille de protester par écrit et de le faire savoir aux autres plaisanciers. En effet, ce type d’information ne se trouve nulle part, lorsqu’on appelle au port, ils ne répondent pas et les tarifs sont introuvables sur internet. Et puis, cette taxe ouvre la porte à de nombreuses questions : est-elle applicable à tous les plaisanciers ou seulement aux non espagnols? Alors est-ce légal dans le cadre de l’Europe? Combien de fois par an les espagnols vont-ils la payer? Que se passe-t-il si on va un jour au port et neuf jours au mouillage et puis que l’on retourne au port? Tout cela nous semble flou et dès notre retour nous nous pencherons sur ce problème....
Sur ce, nous larguons les amarres et ne restons pas une minute de plus. Nous retournons au cap Fonts, et mercredi matin sans regret, nous quittons Minorque pour Majorque où nous arrivons en début de soirée à Pollenca après avoir parcouru 51 miles. Espérons qu’ici il n’y aura pas de surprise!
P.S. Connaissez-vous l’origine du mot mayonnaise? Et bien, il s’agit tout simplement de mahonnaise, sauce qui existait à Mahon , que Richelieu a sans doute appréciée et qu’il a ramenée en France dans ses bagages vers 1756 quand Minorque fut française pour une courte période (1756-1763). Après les “rosbeefs” l’ont reprise.
P.S.bis : bonne reprise à tous ceux et celles que nous connaissons et qui reprennent le chemin de l’école et en particulier à Margaux et Alexandre qui rentrent “ à la grande école” pour minimum 12 ans de bagne (sans réduction de peine!), à Simon qui rejoint l’école des grands et à Sandrine qui va entamer une carrière de “bourreau”.