Tout va bien pour nous.
Lors de notre retour à Gran Tarajal (Fuerteventura) nous avons passé la 1ère semaine à préparer le bateau : d’abord le nettoyer (le sable avait envahi le pont, les amarres, les haubans…)mais bon, nous avions été prévoyants et l’avions donc bien protégé (voiles enlevées, écoutes enfermées dans des sacs poubelles, dorades (=prises d’air) bouchées…) et donc à l’intérieur tout était nickel. Ensuite nous avons réarmé Manéa pour la navigation en remettant entre autre les voiles à poste. Il a fait chaud, entre 25 et 30° et pour le capitaine la sieste était la bienvenue.
Le dimanche 7, nous avons vécu notre dernière soirée avec l’équipage de Taveac, nos amis bretons, car nos routes se séparent ici. Nos programmes sont différents : après avoir navigué à nouveau un peu dans les Canaries en attendant l’installation des alizés, ils mettront le cap directement sur les Caraïbes début novembre alors que nous viserons d’abord le Sénégal, puis le Cap Vert et enfin le Brésil. Mais c’est sûr un jour nous les retrouverons dans un mouillage
Le lundi 8 c’est donc avec beaucoup d’émotion que nous avons largué leurs amarres. Il est toujours difficile de quitter des personnes avec qui on partage de nombreux centres d’intérêt, hors bateau et avec qui on s’entend bien.
Comme cette saison nos navigations seront plus longues et que de plus nous quitterons l’Europe, le capitaine veut absolument résoudre tous les soucis qu’il a avec le téléphone satellite et donc il s’y attelle et après 2 jours de recherche, essais, tâtonnements, coup de fil via skype à la centrale il maîtrise et il peut franchement aller postuler un emploi de technicien spécialiste chez Pochon à Hyères ou proposer un recyclage au technicien qui était venu installer l’iridium sur le bateau avant notre départ car si ce gars- là était connaisseur… ;Pendant ce temps je m’occupe de l’avitaillement et prépare déjà quelques repas en prévision de notre départ.
C’est avec facilité que le 10 nous quittons le port au lever du jour. Pourtant après 5 mois d’arrêt une certaine angoisse nous habite, plus honnêtement m’habite. Après cette période vécue à terre retrouverai-je les bons réflexes ? D’ailleurs lorsque le capitaine hisse la grand-voile et que je dois me mettre bout au vent, je crois ne plus savoir comment faire mais son « bordel, je t’ai dit bout au vent !! » remet tout de suite les pendules à l’heure et je retrouve les réflexes de la manœuvre. L’addition de ces 2 stress plus le fait de reprendre la mer fait que comme à chaque fois après une longue période à terre je suis malade et offre généreusement aux poissons mon petit déjeuner. Mais hop, un Mercalm et un petit dodo et je suis à nouveau opérationnelle. Après 5h de voile au près, le vent tombe et nous terminerons notre remontée de 52 milles vers Lanzarote au moteur. Nous mouillerons quelques jours au sud de cette belle île devant les plages de Papagayo. C’est vraiment un très bel endroit et à nouveau nous y « savourons » les levers et couchers du soleil.
Et puis le dimanche 14 nous levons l’ancre direction la marina de Puerto Calero où Manéa doit être tiré au sec pour une série de travaux de maintenance. D’abord le carénage mais surtout vérifier si les bagues du safran (=gouvernail) ne sont pas usées. Michel a le sentiment que la barre décroche au portant. Nous serons tirés au sec mercredi et non lundi comme prévu. Nous sommes déjà bien au sud et « hoy » (= aujourd’hui) devient très souvent manana (= demain).
Pour enlever le safran, des opérations préliminaires sont nécessaires : vider les coffres, déconnecter le pilote automatique, enlever le secteur de barre … Quelques heures de travaux dans les coffres qui nécessiteront souplesse et contorsion. Une fois le safran enlevé, Michel et Jean-Michel (un mécano français) éprouvent beaucoup de difficultés pour démonter ces fameuses bagues, qui, effectivement sont bien abîmées. Le tube de la jaumière est lui aussi usé par endroits et il va falloir le restratifier. Il faut donc tourner de nouvelles bagues dans de l’ertacetal, une sorte de plastique blanc très dur .L’ennui avec celles qui sont usées c’est qu’il n’est pas facile d’en prendre les cotes exactes ce qui fait que la 1ère fois, les nouvelles refusent de rentrer dans le tube : 5/10 de mm de diamètre en trop. Elles retournent donc à l’atelier pour subir une très légère cure d’amaigrissement. Nos deux hommes découvrent aussi que l’arbre de l’hélice et l’hélice (nettoyée avec amour par la moussaillonne) doivent aussi être « retravaillés » : l’arbre n’est plus aligné dans l’axe et la bague hydraulube (oui, encore une) de l’hélice est usée. ( Remarquez : 3 bagues pour un seul homme…et même pas au doigt ! ). Ils s’y attaquent donc. Ensuite ce seront la courroie de l’alternateur et les pales de la pompe à eau du moteur qui seront changées. Pendant ce temps, j’endosse ma tenue de peintre et je mets la 1ère couche de primaire sur la coque et puis les 2 couches d’anti-fouling à matrice dure ( =peinture anti-salissures et donc contre l’accrochage des algues et coquillages sur la coque) . Alors que le capitaine se consacre à tout ce qui est plus technique, je change souvent d’occupation : peintre, coiffeuse , cuisinière, rédactrice en chef et organisatrice de nos futurs séjours. Comme nous avons la wi-fi je m’empresse de rechercher toutes les infos intéressantes pour notre escale au Sénégal.
Et les jours passent…Les travaux s’enchaînent et les rencontrent se multiplient. Neuf jours déjà que nous sommes au « varadero » (= chantier).
Sur celui-ci nous ne sommes pas les seuls. Autour de crêpes et de bières belges nous faisons la connaissance de Christine et Serge, un couple de vendéens ayant déjà beaucoup bourlingué et naviguant maintenant sur un catamaran. Enfin, plutôt ils naviguaient car leur cata est « désossé » et ils le remettent à neuf.
Le chantier est dans le port. Un autre soir, nous entendant parler, un autre couple de français, Dominique et Jean-François, des bretons cette fois, nous interpellent et nous invitent à prendre l’apéro sur leur Sun Odyssey 47 . Ils viennent d’être à la retraite mais se donnent des délais : ainsi étant partis d’Arzal en août ils doivent impérativement être en Polynésie française en août 2013 car ils l’ont promis à leur fils de 34 ans qui a pris une année sabbatique pour naviguer avec eux. Nous avons senti un certain regret dans leurs propos car ils ne profitent d’aucune de leurs escales. ( 1 mois d’arrêt au Portugal pour ennuis techniques, 3 jours à Madère, quelques jours aux Canaries et puis une escale de quelques jours au Cap vert, la traversée vers les Antilles où ils resteront quelques semaines et puis Panama…et…. La Polynésie.
Normalement nous devons être remis à l’eau ce vendredi 26 au matin. Nous avons passé notre première nuit dans les sangles du travel- lift.
C’est fait, nous sommes à nouveau à l’eau ! Moment toujours très émouvant que celui de la mise à l’eau.
C’est la saison de la « transhumance ». Selon les estimations, il y a environ 10.000 voiliers en circumnavigation et chaque année plus ou moins 1000 bateaux traversent l’Atlantique. Pour cela, il faut attendre l’installation des alizés début novembre. L’archipel des Canaries est le grand carrefour de la navigation hauturière et des centaines de bateaux y transitent chaque année. On y rencontre de tout : du sloop microscopique barré en solitaire (5,5m et son capitaine était heureux d’avoir trouvé des biscuits carrés car ils prenaient moins de place que les ronds dans ses équipets) au ketch imposant avec son équipage. La marina est donc complète et le départ de l’ARC (Atlantic Rally Cruising) approchant, il n’a pas été facile de nous retrouver une autre place à l’eau. De plus, une grosse dépression est annoncée et commentée par radio ponton. Vent de SW assez fort dans les prochains jours (à cause de ce bête anticyclone des Açores remplacé pour le coup par une dépression) et donc tous les bateaux en partance vers le sud attendent.
Je terminerai par un extrait de « Latitudes vagabondes » de Daniel Drion qui décrit bien l’ambiance des pontons :
« …Je me doutais bien qu’il y avait du monde sur la route des « cocotiers ». Mais j’étais loin de m’imaginer que j’allais rencontrer plusieurs centaines de « rêveurs » comme moi. Alors lorsque l’on aime les bateaux, la mer et le voyage et que l’on se retrouve parmi cette communauté de gens qui partagent les mêmes passions du matin au soir c’est la grande « tchatche ». On échange des filons, des infos…on prête, on aide, on se fait aider……C’est le creuset d’espoirs, de rêves qui se concrétisent, de sacrifices mais aussi de déconvenues. Car les Canaries sont également, hélas, le cimetière des illusions perdues où nombre de yachtmen, secoués par l’Atlantique, voient soudain s’étioler leur belle vocation. C’est ici aussi qu’éclatent des équipages et couples « tour-du-mondistes ». Le bateau peut parfois être le fossoyeur des plus inaltérables amitiés ou le naufrageur des plus solides unions conjugales.
Cette communauté de Yoties est l’amalgame le plus étrange qu’il m’ait été donné de voir. On y trouve de tout, des plus jeunes aux plus vieux, des plus riches aux plus démunis, des manuels aux intellos. Des gauchistes, des fachos, des croyants, des athées, des prolos, des aristos…Tout ce monde disparate vit en parfaite harmonie alors qu’à terre dans des conditions de vie « normale » ils s’écraseraient ou pire s’ignoreraient mutuellement !
Sur le plan ethnique, ce n’est pas mal non plus ! Il y a les nordiques. Les Danois, les Suédois, les Norvégiens. Généralement dotés de très beaux et grands bateaux de caractère (Swan par ex) …..Les Allemands avec des bateaux robustes et sans fantaisie…Les Anglais, couples âgés très tea- time avec des bateaux bichonnés avec amour » (longs gants en latex rose, bottes vertes et topless. Tout un spectacle !!!)… » Mais le gros de la troupe est français. Pas loin de 80% d’émules de Moitessier et d’Antoine. Et parmi eux, on trouve beaucoup de couples avec enfants….Ca bricole, ça magouille, ça se réunit pour des bouffes, bref c’est le village d’Astérix, dont la potion magique est le « cocorico » »…..
Et puis, il y a nous les VRAIS Belges. Beaucoup d’autres nationalités naviguent sous notre pavillon car il est très peu coûteux par rapport à celui de leur pays. Alors, à chaque fois que nous allons les saluer, ils sont gênés de nous avouer leur subterfuge…mais cela nous permet de créer et garder des liens ( ainsi Martine et Patrick et leur catamaran Marick rencontrés à Agadir (www.reboux.fr/SiteDeMarick). Et puis nous avons aussi rencontré des belges néerlandophones avec qui nous avons parlé dans la langue de Vondel mais nous avons été déçus par leur fin de non-recevoir alors qu’avec les Hollandais, pas de soucis on se comprend…
Alors en attendant que cette grosse dépression passe nous ne nous embêtons pas car il y a toujours à faire : bricolages, lessives, nettoyages, farniente et lectures au soleil, balades et visites de cette belle île qui nous avait déjà tant séduit l’an dernier …
Nous espérons que vous n’avez pas été lassés par la lecture de ce compte-rendu un peu technique de notre premier mois passé loin de vous. Lorsque nous prendrons la mer vous serez avertis car maintenant que l’Iridium n’a plus de secrets pour nous nous allons l’utiliser…
A bientôt. Amitiés salées et ensoleillées.
PS : nous sommes aussi attentifs à la trajectoire de Sandy car Xavier, un jeune français solitaire avec qui nous avions sympathisé l’an dernier à Madère et qui navigue sur Misaki-Xi, un Rush, nous a dit dans son dernier mail qu’il comptait descendre du Canada où il se trouvait vers Panama…(www.Misakisi.blogspot.fr). Aux dernières nouvelles il est « planqué » dans la baie d’Halifax en Nouvelle-Ecosse au Canada…
PS bis : ça y est, ici, ça souffle bien comme annoncé…déjà 30 nœuds dans le port bien abrité…
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