Gran Canaria : notre 3ème escale aux Canaries
Le vendredi 27 janvier à 4h, branle-bas de combat sur Manéa. Il fait encore nuit noire mais nous sommes déjà debout pour lever l’ancre et mettre le cap sur Gran Canaria. Nous devons parcourir +ou- 57M et nous voulons arriver de jour et comme nous ne connaissons pas d’avance la vitesse que nous ferons nous préférons prendre nos précautions. Un peu de stress pour récupérer l’orin et l’ancre dans l’obscurité mais tout se passe bien et nous quittons le mouillage de Morro Jabble au sud de Fuerteventura vers 5h comme prévu.
Le vent est de NE, entre 18 et 20 Nds, la houle entre 1m et 1,5m, mais protégés par la côte, pour l’instant, le vent est faible et nous naviguons au moteur. A bout d’une petite heure, nous pouvons envoyer le génois, seul, car c’est du portant qui est annoncé.
Nous naviguons donc grand largue, navigation agréable. Nos copains bretons de Tavéac sont partis en même temps que nous et nous faisons route parallèle. Nos vitesses sont quasi identiques, Dès le lever du jour, le vent tombe un peu et Michel envoie la grand-voile, d’abord avec un ris, puis le largue car le vent a encore molli (environ 12nds). Par précaution, lorsque nous naviguons de nuit, nous préférons être sous-toilés que surtoilés, le bateau étant alors plus facile à maîtriser si le vent monte. Alors que Fuerteventura est encore visible, l’île de Gran Canaria se dessine déjà. Comme à chaque traversée, la magie opère et nous contemplons l’océan, y cherchons tous les signes de vie quand tout à coup, un banc de marsouins (petits dauphins) surgit à l’étrave de Manéa, pirouette, cabriole et semble réagir à nos encouragements émerveillés. Nous nous sentons en harmonie profonde avec la nature. Sensations difficilement descriptibles.
Sans raison apparente (même vent, même route, même surface de toile) nous devançons Tavéac et mouillons 25 minutes avant eux dans la baie de Las Palmas, devant les ports de commerce et de plaisance.
Las Palmas est une grande ville de + ou – 400.000 habitants mais c’est d’abord un grand port, le 5ème d’Espagne, au carrefour de 3 continents : Europe, Afrique et Amérique. Les Canaries jouissent d’un statut de port franc et donc détaxés dans beaucoup de domaines (par ex : taux de TVA ici 5% , en Espagne : 18% ; peu d’accises : un paquet de Marlboro coûte ici 2,4€ alors qu’en Espagne continentale, il coûte plus de 5€ , un litre d’essence coûte +ou- 1euro alors que sur le continent c’est 1,5 euro ) Pourtant, ici aussi nous sommes en Espagne, il y a donc 2 sortes de citoyens espagnols…
A notre arrivée nous avons donc slalomé entre cargos, remorqueurs, HLM flottants (bateaux de croisière) et c’est assez impressionnant : sensation de petitesse et plaisir aussi car nous sommes dans un vrai port, nous y sentons la vie. Jour et nuit on y travaille à charger, décharger….
Las Palmas de Gran Canaria est une ville calme ni vraiment canarienne ni tout à fait espagnole et déjà presque sud-américaine (ainsi ici on ne dit pas autobus mais guagua) qui s’étire dans la partie étroite d’un isthme. Ici vivent plus de 400.000 personnes et excepté le flot des voitures à certaines heures, il est difficile de s’en rendre compte. C’est indiscutablement la capitale de l’archipel même si de vieilles rivalités l’obligent à partager ce titre avec Santa Cruz de Tenerife.
C’est une ville aux visages multiples et nous l’avons maintes et maintes fois sillonnée à pieds. Son cœur ancien est constitué de deux barrios ou quartiers : Vegueta et Triana, où il est très agréable de flâner en admirant les maisons à balcons de bois, patios fleuris, lourdes portes en bois verni. Une des plus belles est la « casa de Colon » : construite autour de deux patios avec balcons, fontaines, palmiers et perroquets. L’extérieur est à lui seul une œuvre d’art associant des motifs plateresques exubérants à des balcons traditionnels à balustrades. Quant à l’intérieur, il est superbe et dans les différentes pièces à plafond à caissons sont retracés les quatre voyages de Colomb de 1492 à 1504. De quoi nous faire rêver…
Las Palmas restera pour nous une escale riche en rencontres de tous types.
C’est d’ici que partent beaucoup de voiliers pour traverser l’Atlantique et il y a donc de nombreux corps de métiers compétents présents sur le port et en ville. De plus, les prix pratiqués y sont concurrentiels par rapport au continent. Cela tombe bien car le capitaine est bien décidé à en finir avec les problèmes récurrents de l’enrouleur de génois. Contacts pris avec les gréeurs, le travail se réalise en toute confiance.
Cherchant des leds pour le carré dans un ship (= magasin) sur le port, nous faisons la connaissance d’un client du magasin qui se permet de nous dire qu’il peut nous filer un tuyau à ce propos. Dès la sortie, il nous amène sur le bateau de Marc et Lisbeth qui ont ouvert un commerce de leds à des prix défiant, eux, toute concurrence. Cela se passe dans la confiance et la simplicité, les leds peuvent être essayés avant l’achat et Lisbeth ira même jusqu’à renvoyer en Allemagne ceux que Michel avait acheté en Belgique via internet et qui ne conviennent pas pour les plafonniers de Manéa car ils sont à un contact et non à deux comme nécessaire. Geste désintéressé.
Nous rencontrons aussi Martha, présidente de l’association « les Correos de la Mar » qui recherche des voiliers afin d’expédier vêtements, semences, matériel scolaire…vers des associations, organisations non gouvernementales au Sénégal, Cap Vert et Brésil. Nous ne travaillons plus mais nous ne pouvons rester insensibles à sa demande et c’est évidemment le transport de matériel scolaire qui nous plairait le plus. On ne se refait pas. Etre des courriers de la mer nous permettra aussi de rencontrer les populations locales et c’est un des buts de notre croisière. Grâce à elle, nous réaliserons donc plus facilement ces rencontres. Plus de 150 voiliers ont ainsi déjà transporté des colis vers ces pays. Les Correos de la Mar commençant à être connus, elle reçoit de plus en plus de vêtements, matériel scolaire, mais aussi de quoi alimenter une brocante. Elle profite d’ailleurs du grand rassemblement des bateaux à Las Palmas pour le départ de l’ARC ( Atlantic Rally for Cruisers) pour organiser sur le port un marché aux puces. Elle a aussi besoin d’aide pour trier et organiser par sexe et groupes d’âge les vêtements reçus. Nous avons donc consacré un samedi à l’aider à cette activité de fripier. Si certains vêtements sont nickels, d’autres sont trop abîmés ou même sales et elle craint de froisser la susceptibilité des populations : ils ne sont pas nos poubelles ! Le tri est donc impitoyable, tout ce qui ne convient pas, c’est « fuera ! » Après le travail, c’est la détente autour d’un repas, où Martha, néerlandaise arrivée à l’âge de trois ans aux Canaries, nous raconte sa vie, ses joies, ses peines, ses parents qui se font vieux et dont elle s’occupe car ils ne sont plus autonomes, ses projets ( elle fait restaurer une vieille maison qui lui cause bien du souci) et nous, qui racontons nos vies également, nos projets, nos interrogations, bref on refait le monde jusque 11h du soir, après quoi, elle nous ramène au bateau.
Bien que prévenus ( « prenez des polars car j’habite dans la montagne, il ne fait pas chaud… ») nous retrouvons Manéa complètement congelés, car la chaleur des rencontres (et Martha sait y faire, je vous assure…) suffit aux cœurs mais pas toujours aux corps…
Nous sommes aussi partis à la découverte de la troisième ’île de l’archipel pour y découvrir des falaises côtières déchiquetées (ouest), des « vegas » (riches terres de culture au nord et nord est) et des « barrancos » ( lits de rivières asséchées au centre) où poussent bananiers et palmiers et aussi des complexes immobiliers hideux (sud)
Nous décidons d’ »explorer » le centre qui est resté « authentique » et où les montagnes nous ont offert des tableaux spectaculaires.
Nous nous sommes d’abord dirigés vers le nord qui concentre l’essentiel du potentiel agricole de l’île sous forme de cultures en terrasses ou celle d’hectares de serres de plastique où poussent tomates, bananiers…Routes sinueuses, nombreux et calmes petits villages et hameaux aux maisons colorées éparpillés dans le centre de l’île et nous voici déjà sur la côte occidentale. La route qui nous mène d’Agaete à La Aldea De San Nicola nous offre un parcours grandiose avec des vues à couper le souffle. Nous longeons de hautes falaises, d’étroits barrancos et une succession de crêtes volcaniques. Comme nous l’a dit Martha, c’est parfois faire beaucoup de route pour aller d’un petit hameau à un autre mais la route en elle-même est un cadeau visuel.
Curieux, nous sommes également allés vers le sud abîmé par un chapelet de complexes touristiques au goût douteux et destiné au tourisme balnéaire de masse des adorateurs du soleil. Nous n’y sommes pas restés longtemps…Excepté Puerto Mogan où les ruelles fleuries du centre sont charmantes.
Anne-Marie, nous a aussi rejoint pour une semaine de retrouvailles, d’amitié partagée et comme elle dit de repos car vie « hors du temps ». Avec elle, nous avons à nouveau sillonné essentiellement le centre de l’île au relief accidenté, peu peuplé et peu fréquenté par les touristes. Les jours ont filé à toute allure et nous n’avons pas eu l’occasion de sortir avec elle en voilier. Les mouillages quasi inexistants et peu fiables, le vent costaud ( 2O à 25 Nds en permanence avec la mer qui va avec, bien sûr, et qui rendent la remontée au près pénible…)mais aussi des contraintes d’horaires quant à son retour (6jours, c’est très court !) ne nous ont pas permis de lui offrir ce plaisir… La prochaine fois, on le fera, promis, juré !
Dans deux jours, nous partons pour Tenerife, quatrième escale aux Canaries. Nous avons bien pris la « température » de cette île, comme des deux premières Lanzarote et Fuerteventura. Chacune a sa propre personnalité, très différente des autres : ne croyez pas les connaître toutes les trois en n’en ayant vu qu’une seule…
A bientôt pour de nouvelles découvertes.